Note de mise en scène

De La Passion selon Sade de Sylvano Bussotti, emblématique partition des années soixante dont la graphie exubérante est aussi essentielle que les portées et les notes, nous avons imaginé une nouvelle mise en scène, la première sans doute qui échappe totalement à son auteur et rompt avec les usuelles (et frustrantes) versions « de concert ». Elle est « augmentée » d’un prologue (discours extrait de Français, encore un effort si vous voulez être républicain et Sonata erotica d’Erwin Schulhoff) et d’un bref épilogue où est murmuré Blute nur, Du liebes Hertz de La Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach.

pss_partition_p16Les deux protagonistes principaux sont ici un couple diabolique, réuni par la musique et par la scène : Justine/Juliette – seul rôle explicite de la partition confié à une soprano émérite – et Le Marquis, homme de pouvoir, politique, manipulateur, auteur et acteur de sa propre fantasmagorie. Ce deuxième rôle n’est pas donné par la partition de Bussotti. La mise en scène l’invente en lui confiant toutes les situations que le compositeur suggère : apparitions, mime, actions dansées, évocations sexuelles ou pendaison…

Dans l’inquiétant huis clos d’un boudoir sadien, cabinet de psychanalyse ou chambre d’hôtel anonyme, nous parcourons ainsi, une heure durant, la relation trouble, ambiguë et sulfureuse qui lie ces deux personnages, selon un déroulement déduit des fameux « tableaux vivants » de Bussotti : « mystique », « libertin », « démoniaque » et « mortel ».

La musique de Bussotti, qui laisse une grande liberté apparente aux interprètes, est simultanément un guide précis. Avec ses intensités contrôlées, ses atmosphères suggestives, ses excentricités vocales et gestuelles, ses contrepieds, la partition – de la grandiloquente page initiale pour orgue au trio chambriste final – déploie une étonnante et intrigante palette, à laquelle contribue la présence ou l’absence des musiciens, témoins, voyeurs ou acteurs de cette descente aux enfers.

Nous sommes ici au théâtre au moins autant qu’à l’ « opéra ». Le temps est celui de la scène, celui des tourments et des extases de Justine/Juliette qui, après avoir été initiée par son créateur, finit par le dominer et lui échapper définitivement.

Antoine Gindt, mars 2017.